Fragonard - Marguerite Gérard. Une révélation, des propositions. Exposition mars 2025 - Catalogue - Page 84
Réflexions sur le parcours singulier de Marguerite Gérard
riches en connotations érotiques
comprises de tous au 73iiie siècle27.
28
La borne, que l’on aperçoit à
l’arrière-plan dans notre Marchand
d’estampes (ill. A), ainsi que dans
La Vielleuse (ill. 12) et la Jeune Fille
à la marmotte (ill. 13) de Fragonard,
est un motif érigé par les artistes en
symbole de la vie des rues du Paris
de l’époque. Ces blocs de pierre
servent alors à maintenir les roues
des voitures à bonne distance des
maisons. Les premiers trottoirs font
leur apparition en 1781, mais il faut
attendre les travaux d’Haussmann,
au siècle suivant, pour voir
disparaître complètement les rues
à bornes. Comme l’écrit Antoine
Compagnon dans son ouvrage
Les Chiffonniers de Paris, les ordures
sont traditionnellement amoncelées
au « coin des bornes », les boîtespoubelles munies d’un couvercle
n’étant adoptées qu’après l’épidémie
de choléra de 1883. Depuis le Tableau
de Paris de Mercier, la borne, associée
à la )gure du chiffonnier, symbolise
la prostitution28, le rebut, la misère,
la déchéance et l’ivrognerie. On
rencontre également, dans les
romans du 7i7e siècle, de nombreuses
occurrences d’enfants abandonnés
« au coin d’une borne29 ». Le petit
garçon tenant un portfolio (ill. A)
aurait-il pu connaître ce sort ?
Sa tenue modeste indique qu’il
appartient au bas peuple. Décrit
dans la littérature comme un
« étudiant en art », cet enfant campé
dans un cadre urbain ne s’inscrit
pourtant pas dans la longue tradition
iconographique des représentations
de jeunes dessinateurs : l’élégance
de la pose, la qualité des vêtements,
les perruques soignées de ceux de
Drouais et de Lépicié suggèrent que
ces petits artistes, sans doute formés
par un précepteur plutôt que dans
une école gratuite, appartiennent
au meilleur des mondes30 (ill. 16).
Le garçonnet de notre esquisse n’a
rien d’aristocratique dans sa mise :
affublé de chaussures à lacets, d’un
pantalon marron trop court, d’un
gilet assorti laissant entrevoir une
chemise blanche et d’un long manteau
gris, il est coiffé du bonnet rouge
caractéristique des petits ramoneurs
savoyards. En effet, la plupart des
revendeurs et artisans qui s’affairent
alors dans les rues de Paris viennent
de province, de nombreuses familles
délaissant le monde agricole pour se
29. Voir à ce sujet Antoine Compagnon, Les Chiffonniers
de Paris, Paris, Gallimard, 2017, « Au coin de la borne »,
pp. 31-59.
27. Fragonard, dir. Pierre Rosenberg, op. cit., n° 297,
pp. 565-567.
28. Classant les courtisanes parisiennes, Mercier évoque
« la raccrocheuse qui se morfond le soir au coin d’une
borne ».
30. Antoine Chatelain, « La représentation du jeune
dessinateur. Un motif de la France des Lumières », Dixhuitième siècle, 53, 2021, pp. 365-390. Article en ligne :
https://shs.cairn.info/revue-dix-huitieme-siecle-2021-1page-375?lang=fr