Fragonard - Marguerite Gérard. Une révélation, des propositions. Exposition mars 2025 - Catalogue - Page 28
Pierre-Antoine Baudouin : inspiration,
émulation et dépassement
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’une des singularités du Verrou
ovale consiste en l’usage d’un
pinceau fin pour étaler la
matière picturale, à la manière d’un
miniaturiste ou d’un gouachiste. Or,
durant la décennie 1760, Fragonard
a côtoyé Pierre-Antoine Baudouin
(1723-1769), illustrateur, miniaturiste
et surtout gouachiste audacieux, dont
les images libertines sont exposées
au Salon. Guillaume Faroult a
montré comment la proximité des
deux hommes, née autour du peintre
François Boucher (1703-1770), leur
maître, va évoluer vers des sentiments
amicaux lorsque les jeunes artistes
partagent le même atelier, de 1765 à
176935. Pendant ces quatre années,
tous deux vont travailler dans
l’émulation, inspirés par les écrits de
La Fontaine et nourris par l’univers
littéraire libertin de Claude Crébillon,
Jacques Rochette de la Morlière
et Claude Godard d’Aucour36.
35. Voir Guillaume Faroult, « Fragonard et Baudouin,
l’école du libertinage », dans Fragonard amoureux, galant
et libertin, op. cit., pp. 122-123.
36. Ibid., pp. 26-27. Au sujet de l’inspiration des Contes et
des Fables de La Fontaine dans la peinture de Fragonard
et de Baudouin, voir, dans ce même ouvrage, MarieAnne Dupuy-Vachey, pp. 100-116, et Guillaume Faroult,
pp. 136, 138 et 142.
Baudouin et Fragonard dialoguent à
travers leurs compositions, mais en
employant des techniques différentes.
Par exemple, La Résistance inutile,
réalisée à l’huile par Fragonard,
fait écho à L’Épouse indiscrète,
exécutée à la gouache par Baudouin
et exposée au Salon de 1767 (ill. 14) ;
et les échanges se poursuivent dans
le domaine de la peinture à l’huile
lorsqu’il s’agit de mettre en scène
l’intimité d’un peintre et son modèle,
thème hautement réflexif que les deux
hommes traitent avec espièglerie.
Ainsi, au Modèle honnête présenté par
Baudouin au Salon de 1769 répond
Les Débuts du modèle honnête de
Fragonard37 (ill. 15), un tableau que
Guillaume Faroult propose de situer
vers 1770, juste après le décès de
Baudouin, survenu prématurément en
décembre 1769. Pour le conservateur,
en effet, « l’hommage au défunt est
manifeste38 » dans cette œuvre, que
d’autres commentateurs ont rattachée
au domaine de l’illustration39, en
raison de la légèreté du sujet et
37. Voir Guillaume Faroult, Fragonard amoureux, galant
et libertin, op. cit., cat. 40-41.
38. Ibid, p. 142.
39. Notamment Marie-Anne Dupuy-Vachey dans
Fragonard amoureux, galant et libertin, op. cit., cat. 24.