Fragonard - Marguerite Gérard. Une révélation, des propositions. Exposition mars 2025 - Catalogue - Page 19
La gen,se d’un tableau iconique
composition, deux traits arrondis
suggèrent la présence d’un objet que
l’on identifie au fauteuil renversé
visible sur le tableau du Louvre. Parmi
les méthodes de travail privilégiées
par Fragonard, l’esquisse préparatoire
au graphite semble avoir sa préférence,
aussi bien pour jeter ses idées sur le
papier que pour anticiper les gestes
du pinceau chargé de peinture.
Pour l’exécution de la couche
picturale, Fragonard se montre fidèle
à ses habitudes puisqu’il reprend
l’esquisse librement. À l’aide d’un
pinceau pointu très fin, il ajuste les
contours du graphite avec une rapidité
et une sûreté de la main remarquables.
Il commence par travailler une
matière fluide aux tonalités ocre pour
fixer l’attitude du couple, définir la
forme du rideau, qu’il élargit, puis
celle du lit, avant de poser les ombres.
Ensuite, au moyen d’une matière
noire moins fluide, il figure l’ombre
artificielle projetée au-dessus de la
femme et celle plus naturelle qui
découpe le flanc de l’homme. Les
cheveux de ce dernier sont peints à
l’essence, signe de l’intérêt du peintre
pour les mixtures de matières. Les
tons bruns signalent le sol et les pieds
d’un ployant, dont l’assise est suggérée
d’un seul coup de pinceau chargé de
bleu de Prusse. Fragonard ajoute un
objet en contre-champ au sol, que
la comparaison avec Le Verrou du
Louvre permet d’identifier comme
un éventail. Au-delà des bords de la
composition, il se livre à quelques
essais de palette, à l’exemple de la
touche de rouge en haut à gauche du
carton. Plus régulièrement, il essuie
son pinceau avant de compléter
la surface, qu’il rythme avec des
empâtements brun clair, rouges et
roses, renforçant les contours des
formes ou soulignant les yeux et les
bouches des personnages, ainsi que
les doigts tendus vers le verrou et les
talons relevés de l’homme. Les mêmes
tons sont utilisés pour le rideau du
lit, travaillé avec un pinceau plus
large. Viennent ensuite les touches
de jaune de Naples sur la robe, qui
zigzaguent sur le lit avant de s’étirer et
de se rassembler en plis désordonnés
au niveau du bassin de la femme.
Autour du bras de cette dernière, la
matière semble s’enrouler pour figurer
les manches retroussées. Quelques
touches grises traduisent les plis
froissés de la culotte de l’homme et
définissent les jambes déséquilibrées
de la femme, dont le mouvement
de saillie du genou se répète sur
l’angle du lit : ce sont les fameux
« ricochets de reflets, demi-teintes
mouvantes, d’une complexité et
d’une richesse infinies19 » décrits par
19. Jean-Pierre Cuzin, Fragonard. Vie et œuvre, Paris,
Vilo, 1987, p. 118.
15